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LES GALERIES D'ART ET LE COVID 19 (part 1)

 

 

La France confinée : musées et galeries ferment le 17 mars 2020

 

 

23 ans

L’enquête menée par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) sur la situation de ses 279 adhérents face aux bouleversements en cours (voir QDA du 9 avril) a été remarquée : le Los Angeles Times la cite en faisant un parallèle avec la scène californienne.

Si l’échantillon de Los Angeles est bien plus réduit (35 répondants seulement), le pourcentage est étonnamment comparable : un tiers des galeries pourraient cesser leur activité.

Parmi les données du CPGA sur le panorama français, l’une des plus intéressantes est l’âge moyen des galeries : 23 ans.

Un laps de temps qui nous ramène à 1997 et à la fin de la longue crise initiée par la guerre du Golfe, qui avait entraîné la disparition de 46% des galeries entre 1990 et 1994.

Dans la logique de « destruction créatrice » chère à l’économiste Schumpeter, à côté des douloureuses cessations d’activité, il faut aussi envisager un aspect positif de la crise : l’éclosion probable d’une nouvelle génération de galeristes, sans doute porteuse d’autres façons de travailler.

Les petites galeries en mode survie ?

En pleine crise COVID19 et faute de trésorerie, les jeunes structures sont particulièrement fragilisées.

Après la crise financière de 2008, plus de 30 % avaient disparu.

Le 13 mars 2020, dès qu’il apprend que les Etats-Unis vont fermer leurs frontières aux ressortissants européens pour endiguer la propagation du Covid-19, le jeune galeriste parisien Jérôme Poggi réunit illico son équipe.

En mai, il devait participer à la Frieze Art Fair à New York, une foire importante pour son standing et ses affaires. 

« Il fallait faire au plus vite, finaliser les ventes en cours, alléger au maximum les charges et notamment reporter les appels de charges sociales et d’impôts directs puisque le gouvernement le proposait déjà », confie-t-il. M. Poggi ne se doutait pas encore qu’il devrait, le lendemain, mettre toute son équipe au chômage partiel. Il administre, désormais, seul les affaires de la galerie, redoutant une chute de 50 % de son chiffre d’affaires en 2020.

Son confrère Eric Mouchet, qui a mis au chômage partiel ses trois employés tout en veillant à combler de sa poche la différence, se rend un jour sur deux dans son local pour écluser la paperasse en retard. « Mais une galerie où travaillent quatre personnes en permanence, c’est normalement des échanges d’idées qui fusent, une énergie et évidemment des visiteurs, et toute la technologie dont nous disposons ne remplacera pas cela », soupire-t-il.

Avant le confinement, il comptait sur un chiffre d’affaires de 70 000 euros en mars, sur la base de son activité en 2019. 

« Or, je n’ai émis aucune facture. Je n’avais aucune vente prévue à l’avance et n’en ai réalisé aucune durant le mois », précise-t-il. Il a, en revanche, déjà investi dans le catalogue de l’exposition prochaine du photographe Bertrand Hugues, consentant une avance de 1 000 euros au graphiste. 

« Mais je n’ai pas l’argent pour payer le reste, ni l’imprimeur », regrette M. Mouchet.

« Six à douze mois pour repartir »

Faute de trésorerie, ces jeunes galeries sont plus fragilisées que d’autres.

Le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), dont la moitié des membres affichent moins de 500 000 euros de chiffre d’affaires, évalue à plus de 184 millions d’euros pour l’ensemble des galeries de février à juin le cumul du manque à gagner et des pertes réelles. 

« La reprise va être lente. A chaque fois que le marché s’écroule, il faut au moins six à douze mois pour repartir », observe la galeriste Marion Papillon, présidente du CPGA. Et de rappeler qu’après la crise de 1990, 46 % des galeries ont fermé, tandis que plus de 30 % ont disparu après celle de 2008.

Pour le collectionneur Romain Leclere, très actif auprès des jeunes galeries, la crise permettra de mesurer le degré « de sérieux, d’implication et de militantisme » des amateurs d’art. « En amour comme en amitié, il n’y a que les preuves, et la première chose que je compte bien faire, c’est de finir d’honorer mes achats et les échéances en cours auprès des jeunes galeries parisiennes », ajoute-t-il. Il admet, toutefois, que l’art est « un achat somptuaire qui, traditionnellement, fait les frais d’un ralentissement économique ».

Les expositions ajournées par le coronavirus se cherchent un avenir

Impossible aujourd’hui de solliciter les collectionneurs sans paraître pressant ou indélicat.

Miser sur les foires à venir ? « J’ai aujourd’hui du mal à imaginer qu’elles puissent dans quelques mois drainer une population locale, voire internationale », observe Vincent Sator, qui participe à Drawing Now, Art Paris Art Fair et Art Brussels, reportées à 2021.

Et le galeriste d’ajouter : « Je doute que les gens soient disposés à voyager, en admettant que les frontières soient rouvertes, à se rendre dans des grands événements ultra-fréquentés et soient psychologiquement motivés pour acheter. »

Fracture numérique

La crise révèle aussi la fracture numérique entre les grosses enseignes, disposant de « viewing-rooms » sophistiquées en ligne, et les plus petites qui doivent se débrouiller avec les moyens du bord. Le giga-galeriste new-yorkais David Zwirner dispose, par exemple, de 12 personnes à plein temps uniquement pour développer les ventes en ligne. « Notre galerie n’a pas les reins assez solides pour se payer des développeurs informatiques et autre community manager », admet Delphine Guillaud, cofondatrice de Backslash, qui poste des vidéos sur le compte Instagram de la galerie. Vincent Sator envoie aussi quotidiennement sur les réseaux sociaux des vidéos d’une minute décryptant à chaque fois une œuvre.

D’autres n’ont pas encore pris le pli du digital. « Nous croyons toujours que l’art se vit d’expériences physiques, de conversations, de questionnements, mais peut-être est-il temps de changer », avance le jeune Antoine Levi, qui devait ouvrir, le 21 mars, son nouvel espace rue de Turbigo, dans le 3arrondissement de Paris.

Pour rester à flot, ces structures ont actionné la palette des aides, notamment le prêt garanti par l’Etat et le report des cotisations fiscales et sociales. Mais elles ne rentrent pas toutes dans les cases. Ainsi, Backslash ne peut recevoir les 1 500 euros donnés aux petites entreprises, car sa baisse d’activité n’atteint pas le seuil de 50 % par rapport à mars 2019. De son côté, Antoine Levi ne peut prétendre au fonds spécial de 600 000 euros mis en place par le Centre national des arts plastiques en faveur des artistes français, parce que, pour l’heure, il n’en a pas dans son écurie.

Pour compléter les dispositifs existants, le CPGA milite pour la création d’un fonds de soutien aux galeries, abondé par le public et le privé. Malgré l’angoisse du lendemain, la plupart des jeunes galeries refusent de baisser les bras. « Si nous avions écouté les pessimistes, nous n’aurions jamais ouvert la galerie en 2016. Or, elle fonctionne, insiste Charlotte Trivini, codirectrice de la galerie PACT. De la même manière, il faut réfléchir face à cette crise de façon constructive plutôt que de se fermer, bloquer nos dépenses et se faire tout petit. »

Quand et comment les centres d’art et galeries vont rouvrir ?

Le 11 mai ou plus tard ?

Selon quelles modalités ?

Pour toutes les structures culturelles, la réouverture est une nécessité vitale.

À mener en respectant les règles sanitaires essentielles mais dès que possible…

L’entrée dans la pandémie s’est faite en ordre dispersé, il risque d’en être de même pour la sortie, chaque pays opérant selon des modalités propres.

L’exemple des plus avancés – Autriche et Allemagne ont par exemple autorisé ce lundi la réouverture des galeries et la Suède n’en a jamais imposé la fermeture – servira aux autres.

Comme dans toutes les situations complexes, l’importance d’un message clair et univoque est primordiale. Si la date du 11 mai a été avancée pour la France, on ne sait pas encore qui sera concerné.

Dans son entretien de la semaine dernière sur France Inter, le ministre de la Culture n’a d’ailleurs pas mentionné les musées et les galeries. Et ses propos sur les petits festivals – qui pourraient être autorisés – ont semé le doute : où commencent les grands ?

Il y a certes des différences entre une galerie de 150 m2 recevant 5 visiteurs par jour et le Louvre, qui peut en accueillir 20 000.

Mais un point commun réunit ces structures : les dégâts que causerait une trop longue fermeture. Le confinement a permis de sauver des vies mais les conséquences sociales et économiques d’une trop longue parenthèse pourraient être catastrophiques. 

Les galeries dans les starting-blocks dès le 11 mai

Dans l’attente d’un calendrier plus précis, nous avons sollicité des responsables des opérateurs privés et publics, de toutes tailles, concernant Paris et la province. Anisabelle Bérès-Montanari, présidente du Syndicat national des antiquaires, estime qu’il

« sera très difficile de reprendre après ce choc, d’autant que notre commerce est très international et que les voyages ne vont pas recommencer de sitôt.

Quasiment tous nos adhérents ont eu recours au chômage partiel et notre situation est identique, voire pire, à celle présentée par le Comité professionnel des galeries d’art dans son étude : plus d’un tiers de nos adhérents pourraient mettre la clé sous la porte ». 

Il est donc essentiel de reprendre au plus vite l’activité, qui est au point mort : « Si le déconfinement a bien lieu le 11 mai pour les commerces de moins de 800 m2  – et il me semble presque impossible de retarder cette date maintenant qu’elle a été annoncée –, pour ma part, j’ouvre le jour même ! »

Un certain nombre de galeristes partagent cette opinion, dont Christian Berst, qui dit attendre ce moment comme une véritable « renaissance ».

Emmanuel Perrotin souhaite rouvrir dès que le gouvernement le permettra, a priori fin mai. 

« Cela demande évidemment une réorganisation du travail du personnel de la galerie pour que les conditions sanitaires soient optimales, ce qui entraîne notamment que certains continuent à télétravailler.

Masques, gel hydroalcoolique, jauge contrôlée, distanciation des personnes : tout sera mis en place.

Dans un premier temps, nous devrions rouvrir avec trois expositions : Jean-Philippe Delhomme, Gabriel Rico et un projet solidaire avec plusieurs galeries parisiennes que nous sommes en train d’élaborer. 

Nous avons tous absolument besoin de continuer notre activité économique et de satisfaire notre désir d’art et de création contemporaine. »

Un tiers des galeries françaises vont-elles faire faillite ?

La fermeture de leurs espaces depuis près d’un mois, le report ou l’annulation des foires, l'impossibilité de livrer des œuvres portent un dur coup à l’activité des galeries. Combien réussiront à absorber la crise ? 

Le pourcentage est le même que celui que brandissait la présidente de l’American Alliance of Museum, Laura Lott, à propos du destin possible de ses adhérents : selon des données diffusées par le CPGA (Comité professionnel des galeries d’art), sans soutien résolu des pouvoirs publics et des collectionneurs, un bon tiers des enseignes françaises pourraient être contraintes de cesser leur activité au second semestre 2020.

« Nous avons mené cette étude auprès des 279 adhérents du comité, explique sa présidente, Marion Papillon. 75% des répondants se sont identifiés, ce qui nous a permis d’avoir un échantillon représentatif et d’extrapoler à l’ensemble de nos adhérents. »

Si certaines galeries sont aujourd’hui de véritables multinationales avec plusieurs espaces à travers le monde (Perrotin étant l’exemple emblématique avec neuf adresses sur trois continents),

85% des adhérents sont en réalité de très petites entreprises, employant moins de 5 salariés.

La moitié ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 500 000 euros et seulement 11% des galeries dépassent les 3 millions d'euros. 

Les galeries préparent le déconfinement en Allemagne

Les galeries aussi s’apprêtent à observer de nouvelles règles pour leur réouverture.

La galerie Contemporary Fine Arts, un des premiers lieux à accueillir de nouveau les amateurs d’art, propose de découvrir des toiles de Georg Baselitz et des sculptures de Katja Strunz.

Le marchand André Schlechtriem est ravi de rouvrir enfin : « Les galeries ne peuvent pas exister dans un monde exclusivement en ligne », a-t-il déclaré à Artnet News.

Comme il le précise sur Facebook, la galerie présentera différentes expositions sous le titre « Berliner Luft » (Air de Berlin).

La galerie demande à ses visiteurs de limiter leur présence à 15 minutes, de porter un masque et d'entrer l’un après l’autre. Max Hetzler est l'un des autres marchands d’art à avoir rouvert sa galerie à Berlin.

11 mai : voie libre aux galeries et petits musées

Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé le 27 avril 2020 devant l'Assemblée nationale les principes de déconfinement qui seront appliqués à partir du 11 mai prochain – en supposant qu'un certain nombre d'indicateurs sanitaires (notamment moins de 3000 cas supplémentaires par jour) soient favorables à la date du jeudi 7 mai.

Dans une première phase qui s'étendra jusqu'au 2 juin, tous les commerces pourront rouvrir, sauf les centres commerciaux ayant une trop grande zone de chalandise.

Les galeries d'art sont donc incluses dans la liste : étant généralement fermées le lundi, on peut prévoir une ouverture généralisée à partir du 12 mai.

Le port du masque n'étant obligatoire que dans les transports, elles pourront cependant l'imposer – comme tous les commerces – à leurs visiteurs.

Les bibliothèques et les médiathèques seront également autorisées à rouvrir.

Du côté des musées, une ligne de démarcation – floue pour le moment – a été établie entre les « petits », qui pourront rouvrir le 11 mai, et les « grands », ceux « qui attirent un grand nombre de visiteurs hors de leur bassin de vie », qui devront attendre, tout comme les cinémas et les théâtres.

Les événements attirant plus de 5000 personnes et nécessitant une déclaration en préfecture ne pourront pas se tenir avant septembre – sans qu'il ait été spécifié si cette jauge valait pour un moment précis ou pour une période de plusieurs jours (comme la plupart des festivals).

Comment voyez-vous la fin du confinement ?

Ce sera graduel et ça prendra du temps avant que nous puissions aller à un vernissage, une foire ou dans un musée…

Le 6 mai, nous rouvrirons notre galerie à Hongkong, mais nous recevrons sur rendez-vous. Je prévois un scénario similaire à Londres, New York et Paris : début juin, tous nos espaces redeviendront opérationnels.

Mais tant que nous n’avons pas de tests médicaux rigoureux – c’est loin d’être le cas aux Etats-Unis, sans doute plus proche en France –, nous ne pourrons pas fonctionner normalement.

(L’Américain David Zwirner possède des galeries à New York, Londres, Hongkong et, depuis octobre 2019, à Paris)

Depuis la fondation de son premier espace en 1966, le galeriste parisien Daniel Templon, n'a pas connu d'interruption de son activité. Son expérience lui permet de juger avec du recul la crise actuelle, et de la comparer aux précédentes.

"Jamais la galerie n’a été fermée un seul jour, excepté durant des vacances.

Aujourd’hui, nous y sommes tous contraints par décision gouvernementale. Les crises que nous avons connues ont été traversées, tant bien que mal, mais en restant toujours au poste. 

La première fut celle du choc pétrolier, en 1974, et a été brutale.

La chute des cours a entraîné une panique générale, et du jour au lendemain, il n’y avait plus aucun acheteur.

Nous vendions 4 ou 5 œuvres par semaine auparavant, surtout le samedi, puis nous n’avons plus rien vendu pendant des mois, et pas grand-chose pendant les 2-3 années suivantes."

À Los Angeles, les galeries s'entraident

Alors que de nombreuses galeries de Los Angeles sont menacées de fermeture en raison de la crise sanitaire actuelle, une soixantaine d'entre elles, des plus modestes aux plus importantes (parmi lesquelles Gagosian, Blum & Poe, Various Small Fires, Bel Ami, Five Car Garage, David Kordansky...), ont décidé de lancer une plateforme de vente en ligne. *

Pilotée par un comité de 15 galeristes et impulsée par Jeffrey Deitch, galeriste et ancien directeur du MoCA, GalleryPlatform.LA mettra en ligne à partir du 15 mai, chaque semaine dans ses viewing rooms, des œuvres présentées par une douzaine de galeries, assurant à chacune d'être visible sur la plateforme toutes les six semaines.

Une section éditoriale présentera de manière permanente l'histoire de la scène californienne et des focus sur des artistes.

Par ailleurs est créée une organisation professionnelle, la Gallery Association Los Angeles (GALA), afin de soutenir la scène artistique californienne en cette période très difficile pour les artistes et le milieu de l'art, et qui pourra, une fois le plus fort de la crise passé, organiser des événements, visites d'ateliers, ventes caritatives, programmes éducatifs, annonces de recrutements, etc.​

Après des atermoiements, suivant les modèles italien et espagnol, le public français n’a plus accès aux principaux lieux culturels du pays.

Des stratégies de soutien économique et de poursuite de l’activité (notamment par internet) sont appelées à se mettre en place dans les jours qui viennent.

« Mais nous sommes des commerces de proximité, les gens ont besoin de nous ! »

Les protestations de Daniel Templon, 50 ans de carrière, n’ont pas servi : les galeries d’art font partie (tout comme les librairies) des commerces « non essentiels » et ont été appelées à fermer leurs portes dans le discours solennel du Premier ministre Édouard Philippe, ce samedi soir.

Que n’ont-elles choisi d’être plutôt marchands de tabac !

Ce tour de vis supplémentaire rapproche la France de ses voisins latins – Italie et Espagne – dans le confinement généralisé, notamment pour les personnes âgées – à l’heure même où on les invitait à se rassembler dans des bureaux de vote.

On n’en est pas un paradoxe près…