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PETIT MANUEL DE SURVIE AUX VERNISSAGES

 

Pas une soirée sans que se vernisse, çà et là, une exposition.

Mais comment se repérer dans la foule des soirées ?

Qui y rencontrer et qui y éviter ?

Et au fait, pourquoi y aller ?

Voici quelques conseils indispensables pour faire du vernissage un moment aussi supportable et utile que possible.

 

1. Apprendre à aimer la foule

Jusqu’alors timide ou peu enclin aux frivolités mondaines, il est vrai que votre goût pour la création se départait volontiers du moment vernissage, ce huis clos saturé où le gratin se presse, laissant entrapercevoir un bout d’œuvre entre deux coupes de champagne. Pour un peu qu’on vous demande à brûle-pourpoint, au sortir de l’étuve, votre humble avis sur ce que vous n’avez pu voir, et vous voici vacciné, tout amateur que vous êtes. Les prochains jeudis soir (jour traditionnellement dévolu aux vernissages), vous les consacrerez dorénavant au MK2 voisin, gardant les après-midi tranquilles du dimanche pour aller déambuler dans les couloirs d’un musée et savourer un face-à-face intime avec les œuvres, loin du tumulte.

2. Faire la liste des bons points du vernissage

Mais le vernissage n’est pas seulement le hammam de quelques happy few en mal de bulles et d’accolades : il peut être – pour peu que l’on joue le jeu et qu’on lui donne sa chance – un moment privilégié qui a ses avantages. Avec un peu de chance, vos pas croiseront ceux de l’artiste du soir ou du curateur, que vous pourrez interpeller lorsque l’intéressé s’extraira de son cénacle pour discuter quelque temps de sa démarche. Il est peu probable, bien sûr, que cela arrive hors d’une petite galerie ou d’un centre d’art à taille humaine. Vous reporterez alors vos efforts vers l’épicentre de la soirée, et bientôt en buffets vous deviendrez expert : éviter le cubi de rouge qui tache de telle galerie, ne pas tenter le diable dans quelque grand musée à la générosité mesurée, dévaler les escaliers jusqu’à l’open bar sponsorisé par une grande marque de bière dans ce centre d’art du 16e arrondissement. Hormis ces prouesses éthyliques, la ponctualité de l’événement vernissage aura eu le mérite de vous emmener jusqu’à cette exposition, que d’habitude vous manquez à force de procrastiner. Le vernissage comme avant-goût d’une exposition que vous reviendrez voir, solitaire et silencieux, quelques semaines plus tard : vous avez trouvé là la bonne formule.

Sachez choisir les lieux qui sauront vous désaltérer avec efficacité.

3. Être stratégique dans ses choix

Première étape : savoir distinguer les vernissages, et jauger leur pertinence en fonction de vos objectifs. Du vernissage public d’une galerie offrant aux badauds les bouteilles miraculées de la press preview de la veille, aux grandes messes suffocantes des vernissages très prisés des institutions de taille (Orsay, Grand Palais, Palais de Tokyo…), en passant par des surprises conviviales au détour d’un artist-run space confidentiel ou des visites d’ateliers très sélectes se transformant en dîner, il y en a pour tous les goûts. Et mieux vaut garder sa boussole. Entre le vernissage presse, la visite VIP, le vernissage « public » de quelques initiés et la foire d’empoigne à l’entrée du musée Picasso ou du Louvre, les lieux jouent à brouiller les cartes et ne manquent pas de décontenancer les curieux.

Un vernissage public au Palais De Tokyo en 2016

4. Trouver la bonne info au bon moment

Heureusement, nombreuses sont les ressources qui permettent de s’y retrouver : plusieurs sites ou applications référencent les vernissages du mois (Slash-ParisOFFIToot SweetAgenda Point Contemporain…). À moins que vous n’alliez chercher l’information à la source sur les sites des lieux que vous fréquentez, et que vous n’en profitiez pour vous abonner à la newsletter. Tantôt vous regretterez d’être spammé, tantôt vous vous féliciterez d’avoir de première main, en véritable connaisseur, la date du prochain vernissage. Le média hyperactif Manifesto XXI a, quant à lui, fait de sa spécialité un agenda cernant toutes les bonnes raisons de vous rendre à quelques vernissages, notamment les chances que vous aurez de vous y restaurer, en bon pique-assiette (il est essentiel de ne pas sauter de repas), au buffet du soir.

5. Opter pour l’art du parcours

Pour ceux dont l’unique vernissage n’aura pas satisfait la boulimie d’installations, de performances et de petits fours, la stratégie d’un jeudi soir réussi peut reposer sur la science du parcours : l’enchaînement logique de plusieurs vernissages en fonction d’un certain nombre de paramètres (distance entre chaque lieu, cohérence artistique, présence de têtes familières à la prochaine étape, progression dans la soirée ou… la nuit et, bien sûr, état personnel). Et si vous ne vous sentez pas de plonger dans la nuit sans la carte IGN du docteur ès vernissage, greffez-vous à l’une de ces innombrables initiatives qui vous font parcourir Paris par petits bonds. Les Jeudis Arty vous feront pénétrer en nocturne dans quelques-unes des galeries les plus prisées du Marais. Art Saint-Germain-des-Prés lui rend la pareille aux abords des Beaux-Arts, et Un Dimanche à la Galerie se pose, fin septembre, en sérieuse alternative au brunch, avec pas moins de cent galeries participantes. Et si vous n’aimez pas vous aventurer seul en milieu hostile, sachez que de nombreux « meetups » sont organisés pour des visites collectives d’expositions (rendez-vous directement à la case « expositions » sur le site MeetUp Paris).

Attention à ne pas être le dupe d’un performeur…

6. Potasser avant d’entrer dans l’arène

Il est de bon ton, avant de pousser la porte du tumulte, de se renseigner sur l’artiste que l’on fête ce soir-là : son nom, son âge, quelques anecdotes sur sa trajectoire et une vague idée de la forme de ses œuvres vous sauveront de quelques situations indélicates. Pour parfaire le tout, et si vous tenez à briller quelques instants, tenez prêtes sous le bras quelques punchlines : jouez-la dandy avec du Oscar Wilde (sans en abuser !), blasé avec du Nathalie Heinich, lucide avec du Yves Michaud ou élitiste avec du Hans Ulrich Obrist (que vous citerez, si possible, en anglais). Le meilleur plan sera de se munir du petit livre d’Aurélie Bousquet, Questions aux amateurs d’art, et de murmurer d’un air pénétré, plongé dans la contemplation d’une œuvre : « Le mauvais goût : l’éviter, l’ignorer, le craindre ou l’aimer ? », ou encore « Entre trop et pas assez, où placer la limite ? »

7. Maîtriser les codes

Un autre moyen de s’acheter une contenance consistera à ne pas avoir les mains vides, et donc à occuper l’une d’elles d’une coupe de champagne. Pas d’empressement en revanche ; cela serait du plus mauvais effet : par cercles concentriques, en prenant appui sur œuvres et rencontres, rapprochez-vous stratégiquement du Graal. Et ne rougissez pas à l’approche du banquet. Après tout, tout le monde cherche la même chose. Sachez également vous méfier de la personne en confiance qui vous aborde en vous parlant de ses tatouages intimes ou en vous livrant ses secrets d’enfance : il se peut que, grisé par quelques coupelles, vous soyez le dupe d’un performeur auquel vous vous apprêtiez à glisser quelques confidences. Ainsi paré, et à moins que vous ne soyez convié au chicissime vernissage de la Biennale des Antiquaires, aucun complexe à avoir devant son dressing : il suffira de fendre la foule avec aplomb pour que l’on vous prenne pour un mannequin rescapé de la fashion week. Et si, pour une raison ou une autre, l’option « démotivation » a été privilégiée, vous pourrez vous rattraper avec les chroniques mondaines publiées sur Lechassis , films en accéléré de vernissages à la chaîne.

Billet édité par Saint Paul Galerie de Saint Paul de Vence