DIX-HUIT CHEF-D'OEUVRE
- Le 05/09/2021
Les voici réunis, tel un musée amoureux habité par chacune des rencontres qui nous a un jour bouleversés ou troublés.
Le tombeau de Néfertari dans la Vallée des Reines : voyage multicolore au pays des pharaons
La reine Néfertari rendant hommage aux dieux, XIIIe siècle av. J.-C
Rivalisant avec les plus beaux tombeaux de la Vallée des Rois, témoins des mystères et de la splendeur de l’Égypte antique, cette perle de la Vallée des Reines, remarquablement conservée, reste le plus bel exemple de l’art funéraire des pharaons du XIIIe siècle avant notre ère ! À sa découverte en 1904, les égyptologues restent bouche bée face à la magnificence de ses peintures et reliefs détaillés aux couleurs éclatantes (bleu, jaune, orange et vert), relevées de touches de noir profond tranchant avec le blanc des murs et des piliers. Cernés de hiéroglyphes et de frises de cobras, on y croise la belle Néfertari vêtue d’un châle transparent, faisant des offrandes ou jouant une partie de senet (ancêtre des échecs), le dieu Rê coiffé de son grand disque solaire, et Maât, déesse aux larges ailes…
Ce qu’il faut savoir
Longue de 28 mètres, cette petite tombe de trois pièces creusée 8 mètres sous terre avait malheureusement, comme beaucoup d’autres, déjà été pillée de ses trésors et de sa momie, volatilisée de son sarcophage en bois recouvert d’or. Issues du Livre des morts, les scènes peintes il y a plus de 3000 ans représentent le voyage de la défunte vers l’au-delà. Réputée pour sa beauté et ses précieux conseils, Néfertari était la préférée des huit épouses du pharaon Ramsès II de la XIXe dynastie (mort vers l’an –1213 à 91 ans) qui, amoureux transi, la couvrait d’honneurs, faisant d’elle l’une des rares reines à avoir été divinisées de son vivant !
Où la voir ?
Située dans la nécropole thébaine sur la rive ouest du Nil face à Louxor, la tombe en côtoie d’autres très belles, dont celles de Ramsès VI, Séthi Ier et Ramsès IV, pépites de la voisine Vallée des Rois. Restaurée de 1988 à 1992 après avoir subi d’importantes dégradations, elle n’accueille désormais que 150 personnes par jour maximum : moyennant un droit d’entrée d’environ 75 euros dédié à sa préservation, on ne peut y rester que 10 minutes… à moins d’opter pour sa réplique grandeur nature dans le sous-sol du musée de Tessé au Mans, ou d’une visite virtuelle en 3D !
Tombeau de Néfertari
XIIIe siècle av. J.-C., XIXe dynastie
Fresques
Vallée des Reines, Égypte
La Villa des Mystères : les fresques les plus flamboyantes de Pompéi
Fresques de la Villa des Mystères à Pompéi, Ier siècle av. J.-C.
Détruite par la terrible éruption du Vésuve de l’an 79 avant J.-C., la cité romaine de Pompéi est restée enfouie durant 17 siècles sous plusieurs mètres de cendres volcaniques, avant que les pinceaux des archéologues ne ressuscitent peu à peu ses rues, ses villas, ses mosaïques, ses objets et les corps pétrifiés de ses habitants ! Une fascinante machine à remonter le temps qui nous plonge dans les splendeurs perdues de l’Antiquité, alliant charme romantique des ruines et magie d’un lieu resté figé dans le passé. Éblouissante avec ses fresques aux couleurs vives et ses planchers en marbre blanc et noir quasi intacts, la Villa des Mystères figure parmi ses plus beaux trésors…
Ce qu’il faut savoir
Construite vers – 80 au cœur d’un riche domaine viticole, cette maison exhumée en 1909 abrite, dans sa salle à manger, un superbe ensemble de fresques peintes avec un mélange de pigments, de chaux, d’huile et de cire fondue. Sur un fond rouge éclatant, une série de scènes énigmatiques figurant 29 personnages dont des êtres ailés et des faunes buvant du vin, jouant d’un instrument ou brandissant d’étranges masques… Illustreraient-elles l’initiation de la maîtresse de maison au culte à mystères de Dionysos, l’une de ces religions secrètes qui florissaient alors, ou simplement le récit des noces d’une femme romaine ? L’œuvre divise les experts…
Où la voir ?
En Italie, dans la baie de Naples, où il est possible d’arpenter les ruines de la ville pour visiter ses théâtres et forums, le temple d’Apollon, les thermes de Stabies et de nombreuses villas remarquables, mais aussi des bars et un lupanar, qu’on imagine, malgré un parfum de mélancolie, encore peuplés d’habitants en toges et sandales ! Une visite inoubliable à compléter par les précieux vestiges du musée archéologique de Naples.
La Villa des Mystères
– 80 av. J.-C.
Pompéi, Naples
La chapelle des Scrovegni peinte par Giotto : une plongée dans le grand bleu
Giotto, Nef peinte de la chapelle des Scrovegni dite aussi église de l’Arena, Padoue, 1303-1306
À peine après avoir pénétré dans la nef, c’est un fabuleux tourbillon d’images qui nous emporte : pas un pan de mur n’est laissé au vide. Dans les premiers feux du Trecento, Giotto di Bondone (vers 1266–1337), au faîte de sa gloire, couvre l’espace d’une cinquantaine de scènes inspirées des vies de la Vierge, du Christ et de saint Joachim. Avec en point d’orgue, un grand Jugement Dernier qui n’a pas manqué d’inspirer Michel-Ange. Il faut enfin lever les yeux pour se laisser, comme Marcel Proust, émouvoir par la voûte céleste parsemée d’étoiles et dont les bleus donnent l’impression « que la radieuse journée a passé le seuil elle aussi ». Les dimensions modestes de l’édifice offrent le sentiment d’un lieu précieux et intimiste.
Ce qu’il faut savoir
La nef unique de la chapelle est entièrement dévolue aux fresques commandées à Giotto par le banquier Enrico Scrovegni en l’honneur de son père Reginaldo (qui apparaît dans l’Enfer de la Divine Comédie de Dante). 855 jours furent nécessaires au peintre florentin pour couvrir de fresques les 1000 m2 d’espace. Élève de Cimabue, Giotto rompt pour de bon avec le style byzantin, abstrait et statique. Il ancre les personnages dans l’espace réel par la perspective et par un traitement sensible du modelé. Par-dessus tout, il donne à l’art religieux un caractère humain grâce à l’expressivité des gestes et des regards – en témoigne le détail fameux du Baiser de Judas – qui marquera Masaccio, Léonard ou Raphaël. Le peintre lègue aussi ce bleu profond et inimitable que l’histoire de l’art retient simplement comme le bleu… Giotto !
Où la voir ?
La chapelle des Scrovegni, dite aussi Église de l’Arena, est l’un des joyaux de Padoue, en Vénétie. On la visite uniquement sur réservation et pour une durée maximale de 30 minutes dont on savoure chaque instant. En outre, la ville regorge de monuments parmi lesquels le Palais de la Raison, contemporain à l’église mais dont les fresques de Giotto furent perdues lors d’un incendie en 1420.
Chapelle des Scrovegni
Fresques de Giotto
1303-1306
Padoue, Italie
« Le Printemps » de Sandro Botticelli : un doux parfum de Renaissance
Sandro Botticelli, Le Printemps, 1478-1482
Le bel esprit de la Renaissance dans un tableau ! Au milieu d’un jardin merveilleux, sous les orangers en fleurs, une Vénus nous apparaît telle une Vierge. Autour d’elle, une charmante petite société s’agite : Mercure chasse les nuages avec son caducée, les Trois Grâces font une ronde, Flore sème des fleurs et Zéphir s’apprête à enlever, dans un courant d’air, la pauvre Chloris. On en oublierait presque la présence discrète de Cupidon, qui surplombe la scène, prêt à décocher ses flèches… Le regard du spectateur est comme emporté dans une danse. Tout ici inspire la grâce, la beauté, l’amour… Bref, le génie de Sandro Botticelli (1445–1510) à son sommet !
Ce qu’il faut savoir
Ce tableau, l’un des plus connus de l’artiste avec la Naissance de Vénus (vers 1484–1485), fut commandé par Lorenzo di Pierfrancesco de Médicis, dit Laurent le Magnifique, probablement pour orner une chambre de son palais. Botticelli met en scène la théorie néoplatonicienne, très en vogue à la Renaissance, en particulier dans le cercle des Médicis, selon laquelle le monde sensible serait le reflet du monde des idées. Autour de la Vénus s’opposent l’amour charnel (incarné par l’union de Zéphyr et Chloris donnant naissance à Flore) et de l’amour spirituel (incarné par Mercure et les Trois Grâces). Attardez-vous sur la sensualité des corps à la ligne botticellienne, ou encore le parterre de fleurs, figurées avec la précision d’un botaniste… Inspiré par un épisode des Métamorphoses d’Ovide, le peintre démontre ici l’ampleur de sa maestria.
Où la voir ?
Dans le temple de l’art de la Renaissance : au musée des Offices à Florence ! Parmi la dizaine de chefs-d’œuvre de Botticelli qui y est conservée, on peut aussi admirer La Naissance de Vénus ou encore L’Adoration des Mages.
Le Printemps
Sandro Botticelli
1478-1482
Tempera sur bois
203 x 314 cm
« La Cène » de Léonard de Vinci : divine tragédie
Léonard de Vinci, La Cène, 1495-1498
Le mystère qui entoure l’œuvre de Léonard de Vinci (1452–1519) atteint son apogée avec cette fresque de près de 9 mètres de long, que l’effritement et l’effacement des couleurs ont, au fil des siècles, auréolée d’un flou mystique ! Siégeant au centre de la table, le Christ partage avec ses apôtres son dernier repas avant son arrestation, la veille de sa crucifixion. « L’un de vous me livrera », vient-il de leur annoncer, prédisant la trahison de Judas. Scepticisme, protestation, soupçon, indignation… En réaction à cette annonce, les attitudes diverses des douze apôtres et leurs gestes animés contrastent admirablement avec la rigueur du décor et la figure de Jésus, divinement droit et résigné au milieu de cette cacophonie humaine !
Ce qu’il faut savoir
Les bras ouverts, Jésus invite à consommer le pain et le vin de l’eucharistie, tout en pointant de sa main droite l’assiette de Judas qui, infiltré parmi les convives, serre entre ses doigts l’argent de sa trahison. Sans doute commandée par le duc de Milan Ludovic Sforza, cette peinture a tempera (1495–1498) inscrite au patrimoine de l’UNESCO est l’une des œuvres les plus détournées et commentées de l’histoire de l’art. Que chuchotent les personnages ? Son atmosphère énigmatique pousse à y traquer des sens cachés, et à échafauder de folles théories. Pour certains, Jean, assis à gauche du Christ, ressemble tant à une femme qu’il serait en réalité Marie-Madeleine, son épouse secrète !
Où la voir ?
À Milan, au couvent dominicain Santa Maria delle Grazie, fondé vers 1463. On y admire – sur réservation uniquement et pour une durée limitée à 20 minutes – la façon dont la perspective de la fresque prolonge la salle de réfectoire où elle se trouve grâce à un savant effet de trompe-l’œil, et la beauté du bâtiment dont la coupole et l’abside sont l’œuvre de Bramante, célèbre architecte de la Basilique Saint-Pierre. Une immersion dans les splendeurs et les mystères de la Renaissance italienne.
La Cène
Léonard de Vinci
1495-1498
Fresque a tempera
450 x 880 cm
« Le Jugement dernier » de Michel-Ange à la chapelle Sixtine : l’apothéose d’un géant
Michel-Ange, Le Jugement Dernier, Chapelle Sixtine, entre 1536 et 1541
Quel exploit ! D’une superficie de plus de 200m², cette fresque de 16 mètres sur 13, peinte sur le mur de l’autel de la chapelle Sixtine, démontre toute la virtuosité théâtrale de l’un des plus grands artistes de la Renaissance italienne. Remarquablement dramatique et dynamique, cette composition spectaculaire est animée par les corps en mouvement de 391 personnages nus, dont les moindres muscles sont soulignés par de savants jeux d’ombre avec une précision d’anatomiste ! Quant aux couleurs, elles sont divines : pour le ciel, le peintre utilise un pigment bleu outremer hors de prix obtenu à partir de lapis-lazuli, pierre précieuse venue des montagnes d’Afghanistan.
Ce qu’il faut savoir
Debout sur un nuage au milieu des apôtres, le Christ juge les âmes : à gauche, les bienheureux s’élèvent vers le ciel ; à droite, les damnés chutent vers la terre et s’entassent, entraînés par des démons, dans une barque pour rejoindre les flammes de l’Enfer… Achevé en 1541 après six ans de travail, l’ouvrage a été confié à Michel-Ange (1475–1564) par le pape Clément VII et inauguré par son successeur Paul III. Habitée par un Christ inhabituellement imberbe et musclé, et par des personnages d’une expressivité surprenante, l’œuvre, très débattue au fil des siècles, attise jalousies et querelles. Accusés d’indécence, 41 figurants seront même rhabillés !
Où la voir ?
Parmi les innombrables trésors de Rome, dans la prestigieuse chapelle du palais du Vatican où étaient célébrées les messes des papes. Et dont l’immense voûte, également décorée par l’artiste entre 1508 et 1512, vaut elle aussi le voyage. Le nez en l’air, on y admire ses grandioses interprétations du péché originel, du déluge ou de la création du monde. Vertige et torticolis garantis !
Le Jugement dernier
Michel-Ange
1536 – 1541
Fresque
16 x 13 m
Chapelle Sixtine, Vatican
À admirer aussi en ligne sur http://www.museivaticani.va/content/museivaticani/fr/collezioni/musei/tour-virtuali-elenco.html
« La Pietà » de Michel-Ange : le marbre touché par la grâce
Michel-Ange, Pietà, 1497-1499
C’est une image douloureuse et tendre à la fois. Le Christ repose sur les genoux de sa mère, la Vierge Marie, avant sa mise au tombeau. Rien ici ne nous rappelle son sacrifice et il faut s’approcher au plus près du marbre, d’un blanc pur et travaillé avec la plus grande finesse, pour constater ses stigmates. Quant au visage de la vierge, figé en mater dolorosa, il n’exprime aucune peine. Plongée dans un recueillement silencieux, elle semble bercer tendrement son fils, qui s’abandonne dans une profonde béatitude, l’air paisiblement endormi. Impossible, face à tant de spiritualité et de beauté, de rester de marbre !
Ce qu’il faut savoir
Il s’agit d’une commande du cardinal français Jean Bilhères de Lagraulas, qui souhaite décorer la chapelle funéraire de Santa Petronilla (la chapelle des Rois de France) de la basilique Saint-Pierre au Vatican. Celui-ci demande alors au jeune Michel-Ange (1475–1564), âgé de seulement 23 ans, de réaliser « la plus belle œuvre en marbre de Rome », comme le mentionne le contrat signé par les deux hommes le 27 août 1498. Il faudra moins d’un an à l’artiste (un record !), pour sculpter, dans un seul et même bloc de marbre de Carrare, sa Pietà, motif récurrent de l’iconographie religieuse dont il va bouleverser les codes esthétiques avec un raffinement sans précédent (admirez donc ce somptueux drapé !). L’apparence de la Vierge, qui semble plus jeune que son fils, sera abondamment commentée. L’artiste expliquera bien plus tard, à son biographe, le peintre et écrivain italien Ascanio Condivi, qu’il avait alors voulu mettre en valeur l’innocence et la chasteté de celle-ci.
Où la voir
Dans son écrin d’origine, à l’entrée de la basilique Saint-Pierre au Vatican ! Michel-Ange a également participé à l’élaboration des plans de ce haut-lieu du catholicisme, dont ceux du dôme que l’on peut observer depuis de nombreux endroits à Rome.
Pietà
Michel-Ange
1497-1499
Marbre de Carrare
174 × 195 × 69 cm
Basilique Saint-Pierre, Vatican
« Un bar aux Folies Bergère » de Manet : moderne mélancolie
Édouard Manet, Un bar aux Folies Bergères, 1881-1882
C’est un regard que l’on croise une fois et que l’on n’oublie jamais. Celui d’une serveuse de la fin du XIXe siècle, appuyée à son bar en marbre comme pour se retenir de tomber, au milieu du tumulte de l’un des cabarets les plus célèbres de l’époque. Dernier grand tableau d’Édouard Manet (1832–1883), Un bar aux Folies Bergère est une œuvre subtile à plus d’un titre, sa fine observation psychologique se doublant d’un jeu visuel troublant qui mue la scène en un théâtre de faux-semblants. Car derrière la serveuse, un miroir nous révèle le spectacle bouillonnant du monde moderne. S’y reflète aussi un observateur coiffé d’un haut-de-forme : notre avatar de spectateur ?
Ce qu’il faut savoir
Achevé un an avant la mort d’Édouard Manet, Un bar aux Folies Bergère est une parfaite synthèse de ce qui fait l’art de la deuxième moitié du XIXe siècle : une retranscription de la vie moderne, des héros anonymes, une atmosphère typiquement parisienne et une composition calibrée comme une photographie, où le hors-champ est aussi signifiant. À cela s’ajoutent les grandes qualités picturales de Manet, qui maniait si bien le noir, et avait le chic de glisser dans ses grandes compositions de très belles natures mortes, comme ici au premier plan.
Où la voir ?
Pièce maîtresse de la belle collection impressionniste de l’Institut Courtauld, l’œuvre se découvre parmi des chefs-d’œuvre de Berthe Morisot, Edgar Degas ou Pierre-Auguste Renoir. Célèbre pour son excellente formation en histoire de l’art, l’institut est installé dans le bâtiment néoclassique de Somerset House à Londres, actuellement en pleins travaux de rénovation (réouverture prévue pour le prochain printemps).
Un bar aux Folies Bergère
Édouard Manet
1881-1882
Huile sur toile, 96×130 cm
Coll. Courtauld Institute, Londres
« Guernica » de Picasso, un grand cri pour la paix
Pablo Picasso, Guernica, 1937
Des mères éplorées, des cadavres piétinés, des animaux hurlants de douleur… Puissant symbole politique, Guernica est aussi une allégorie universelle de la paix. Ce tableau aux dimensions monumentales (3,5 mètres de hauteur et 7,8 mètres de largeur) peint dans un camaïeu de gris, rend un hommage bouleversant aux martyrs de la guerre. Face au chaos, impossible de soustraire son regard : l’artiste donne à voir la souffrance et la mort en face. C’est l’une des plus importantes œuvres de Pablo Picasso (1881–1973).
Ce qu’il faut savoir
Commandée par la République espagnole pour son pavillon de l’Exposition universelle de 1937, l’œuvre dénonce le bombardement de la petite ville basque de Guernica par l’armée nazie et l’Aviation Légionnaire italienne fasciste, venues soutenir les troupes du général Franco. Durant cet événement tragique de la guerre d’Espagne, des milliers de civils innocents ont péri. La réalisation de ce chef-d’œuvre a été précieusement documentée par la photographe Dora Maar, qui partageait alors la vie de l’artiste.
Où la voir ?
Peinte dans son atelier parisien en 1937, Guernica est confiée par Picasso au MoMA, à New York, en 1939. Exposée en Italie, en Suède ou encore en France la toile sera, dans les années 1970, réclamée par l’Espagne. Selon la volonté de l’artiste, l’œuvre ne rejoindra le pays qu’après la mort de Franco et une fois la démocratie rétablie. Il est, depuis 1992, le plus grand chef-d’œuvre du musée de la reine Sofia, à Madrid.
Guernica
Pablo Picasso
1937
Huile sur toile
350 x 780 cm
Coll. Musée Reina Sofía, Madrid
Les « Peintures noires » de Goya : plongée dans les ténèbres de l’âme
Francisco de Goya, Saturne dévorant l’un de ses fils, 1820-1823
Francisco de Goya, Le Chien, 1820–1823
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Chairs déchirées, grimaces horribles, solitudes abyssales… Qu’ils soient hommes, animaux ou monstres, les personnages des quatorze Peintures noires de Goya sont l’image même de l’angoisse. Il y a ce petit chien, minuscule dans l’espace immense et vide de la toile, qui se noie et s’efface, seul. Ou ces deux hommes se battant dans un paysage aride, leurs gourdins lourds et les jambes enlisées jusqu’aux genoux. Ils n’en réchapperont pas. Ailleurs, un Saturne particulièrement humain, sa large bouche furieuse dévorant un petit corps d’enfant, déjà amputé de ses bras et de sa tête. Insoutenables ou presque, ces Peintures noires nous mènent dans les tréfonds noirs de l’âme humaine.
Ce qu’il faut savoir
Francisco de Goya (1746–1828) fut touché par une grave maladie (peut-être le saturnisme) qui lui ôta l’ouïe et lui inspira cette série des Peintures noires. Au crépuscule de sa vie, il se réfugie dans une maison à la campagne (Quinta del Sordo, ou Maison du sourd) et peint sur les murs de deux étages, dans le secret, ces visions infernales entre 1820 et 1823. Cinquante ans après sa mort, l’ensemble sera détaché et transféré sur toiles. Les formats sont divers (horizontaux, verticaux, la plupart de grandes tailles), et les sujets variés, parfois énigmatiques. L’artiste représente notamment une deuxième version du Pèlerinage de saint Isidore, cette fois-ci non plus comme un joyeux divertissement mais comme une procession cauchemardesque dans un horizon noir. Ou sa compagne, Leocadia Weiss, accoudée dans un cimetière. Le peintre a plus de soixante-quatorze ans et s’imagine déjà enterré…
Francisco de Goya, Le Sabbat des sorcieres ou le Grand Bouc, 1821–1823
Où les voir ?
De fresques, les Peintures noires sont devenues peintures sur toiles entre 1874 et 1878 et sont réunies dans une salle dédiée, où l’on s’attarde volontiers, du musée du Prado à Madrid, aux côtés de Diego Vélasquez et ses célébrissimes Ménines, de Jérôme Bosch et du Greco, de Rubens, de Murillo, de Véronèse… Mais aussi de Sofonisba Anguissola, femme peintre de la Renaissance dont le musée possède quatre beaux portraits.
Peintures noires
Francisco de Goya
1820-1823
Quatorze huiles sur toiles
« La Nuit étoilée » de Van Gogh : et l’immensité se mit à danser
Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée, 1889
Qui a dit que le bleu était une couleur froide ? Sous le pinceau de Vincent Van Gogh (1853–1890), le ciel s’irradie au contact du halo doré des étoiles, dont le crépitement rompt le silence d’une vue pourtant sereine de prime abord. Tout est moderne dans La Nuit étoilée, du traitement de la couleur à la vivacité de la touche. Étoile filante inclassable, ni symboliste, ni impressionniste, Van Gogh veut d’abord rendre son sentiment avec sincérité. Il arrange la scène, ajoutant à la vue un cyprès élancé, flottant telle une flamme au premier plan, et interprété comme symbole de mort. Des montagnes aux étoiles, les éléments sont traités avec la même expressivité que des visages, quand le village de Saint-Rémy est réduit à portion congrue : l’homme s’efface devant la nature, indice de la passion indéfectible du peintre pour les maîtres de l’estampe japonaise.
Ce qu’il faut savoir
Inspirée du ciel observé depuis la chambre de son asile à Saint-Paul-de-Mausole (Saint-Rémy-de-Provence), La Nuit étoilée intéresse autant l’art que la science. Ainsi, la datation fait débat : on la plaçait au 19 juin 1889, mais pour l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, la position des étoiles et de Vénus – l’astre au halo blanc, à droite du cyprès – correspond davantage au ciel du 25 mai précédent, soit quelques jours à peine après l’internement de Van Gogh. L’artiste était lui-même passionné d’astronomie. Ainsi, les tourbillons célestes s’inspirent peut-être de la représentation de nébuleuses dans des revues spécialisées. Plus étonnant, une étude australienne de 2019 souligne la ressemblance entre la vibration des halos lumineux et la turbulence de Kolmogorov, phénomène pourtant décrit en… 1940 !
Où la voir ?
Pour la voir de vos yeux, il faudra traverser l’Atlantique ! La Nuit étoilée fait en effet partie des collections du MoMA de New York, dont elle est une pièce maîtresse. Dans la galerie 501, dédiée aux innovateurs de la fin du XIXe siècle, elle a pour voisines Le Château noir de Paul Cézanne, La Bohémienne endormie du Douanier Rousseau et Mélancolie III d’Edvard Munch. Le site du MoMA permet une exploration non seulement en détail, mais aussi en trois dimensions du chef-d’œuvre de Van Gogh, afin d’en apprécier la touche épaisse.
La Nuit étoilée
Vincent Van Gogh
1889
Huile sur toile
73,7 x 92,1 cm
Pour une exploration virtuelle de l’œuvre en 3D :
https://sketchfab.com/3d-models/the-starry-night-756b03a918544497b7a4ba644e37550b
« Le Cri » de Munch : l’écho sans fin de nos angoisses
Edvard Munch, Le Cri, 1893
Un puissant vortex qui aspire un paysage mouvant au ciel cramoisi, d’où surgit une pure figure d’effroi, résumant à elle seule l’angoisse existentielle… Œuvre iconique du Norvégien Edvard Munch (1863–1944) peinte en 1893, ce panneau de carton est devenu l’étendard de l’expressionnisme alors même que ce mouvement n’apparaît vraiment que dix ans plus tard ! Il suffit de voir ce hurlement pour l’entendre, et vivre à son tour le tourment du peintre. Dans son journal, en 1892, le peintre décrit l’événement survenu alors qu’il se promenait en compagnie de deux amis au bord d’un fjord : « J’ai senti un immense cri traverser la nature : il m’a semblé que ce cri, je l’entendais. »
Ce qu’il faut savoir
Quel ciel cauchemardesque ! Si la palette est emblématique de l’art de Munch, l’artiste ne l’a pas totalement inventée. À l’instar de Van Gogh, il observait de près les phénomènes climatiques. Ainsi, la météorologiste Helen Muri a récemment soutenu la théorie de nuages nacrés stratosphériques, visibles sous certaines conditions dans l’hiver scandinave, balayant ainsi l’hypothèse selon laquelle Munch se serait inspiré des effets produits sur les couchers de soleil, jusque dans l’hémisphère nord, par l’éruption du Krakatoa en 1883. En outre, Le Cri est l’objet de toutes les convoitises et a été dérobé deux fois : il fut retrouvé au bout d’un mois en 1994 mais il a fallu deux ans après le vol de 2004. Aujourd’hui, l’œuvre est protégée comme les bijoux de la couronne.
Où la voir ?
Il faut se rendre à la galerie Nationale d’Oslo pour découvrir cette version – l’une des cinq produites par l’artiste – mais autant profiter de ce passage dans la capitale norvégienne pour visiter également le Munch-Museum rassemblant la plus grande collection d’œuvres de l’artiste.
À lire aussi : Quand la météorologie fait parler “Le Cri”
Le Cri
Edvard Munch
1893
Huile, tempera et pastel sur carton
91 × 73,5 cm
Coll. Galerie Nationale, Oslo
« Le Rêve » du Douanier Rousseau ou l’ivresse de la jungle
Henri Rousseau, Le Rêve, 1910
Bienvenue dans le doux rêve du Douanier Rousseau ! Sous un éclatant clair de lune, émergeant au milieu de fleurs géantes et d’une épaisse jungle verdoyante, une odalisque se prélasse. Face à elle, deux lions médusés, un flûtiste en pagne multicolore, un serpent dressé, un éléphant aux aguets et de majestueux oiseaux exotiques. Au son de la mélopée, tout ce petit théâtre étrange s’est figé, comme envoûté. À travers cette œuvre de trois mètres de long, l’autodidacte Henri Rousseau (1844–1910) nous invite à pénétrer de plain-pied dans son monde imaginaire (à moins qu’il s’agisse de celui de sa belle ?), où règne un parfum de mystère et de sensualité. Suivant la théorie de Freud selon laquelle le rêve est un rébus, l’artiste a composé son tableau d’éléments disparates (un divan Louis-Philippe en pleine forêt vierge !) renforçant ainsi sa puissance poétique.
Ce qu’il faut savoir
Le Douanier Rousseau – nommé ainsi en raison de son emploi à l’octroi de Paris – est fasciné par le décor du Jardin des Plantes, qui lui inspire à partir de 1890 les jungles qui feront sa renommée. Taxé de naïf, il n’en est pas moins admiré par les avant-gardes parmi lesquelles Pablo Picasso – collectionneur de la première heure – ou Guillaume Apollinaire. Tous décèlent dans l’œuvre de ce « Giotto moderne » une beauté brute, libérée des conventions. Ultime chef-d’œuvre de Rousseau, qui meurt quelques mois plus tard, Le Rêve subjugue dès sa présentation au Salon des indépendants de 1910 et est immédiatement acquis par le marchand Ambroise Vollard. Les surréalistes seront à leur tour sous le charme : « Je ne suis pas loin de croire que, dans cette grande toile, toute la poésie et toutes les gestations mystérieuses de notre temps sont incluses » écrira André Breton.
Où la voir ?
À New York, au MoMA, dont il est un des fleurons aux côtés d’autres chefs-d’œuvre de l’art moderne signés Pablo Picasso, Amedeo Modigliani ou Henri Matisse. Henri Rousseau est également présent dans les collections de l’institution avec La Bohémienne endormie (1897).
Le Rêve
Henri Rousseau
1910
Huile sur toile
298,5 x 204,5 cm
« La Frise Beethoven » de Klimt, somptueuse symphonie d’or et de volutes
Gustav Klimt, Frise Beethoven: Les Forces du mal (détail), 1901-1902
Les anges aux trompettes et les démons aux trombones… En 34 mètres de frise, Gustav Klimt (1862–1918) donne écho à la Neuvième Symphonie de Beethoven dans sa composition la plus ambitieuse, où l’or, la nacre et la couleur sonnent en accents sibyllins sur de vastes pans de mur blancs. Un temps pour la grâce, où des corps sinueux de femmes gravitent en hauteur, enjoignant le chevalier doré à mener leur combat. Le paroxysme est atteint dans ce mur central, où les pouvoirs maléfiques se concentrent autour de la figure simiesque de Typhon, dans un décor aussi fastueux que chaotique. Un nouveau temps long, où se croisent les Génies et la Poésie et, enfin, le dénouement célébrant l’amour triomphant dans L’Ode à la Joie. Klimt parvient à accomplir ici le rêve sécessionniste : fusionner la peinture, la musique et l’architecture auxquelles il faut ajouter l’orfèvrerie en un même lieu.
Ce qu’il faut savoir
La Frise Beethoven était la pièce maîtresse de la Quatorzième Exposition de la Sécession viennoise en 1902, dédiée à Ludwig van Beethoven. Placée dans les hauteurs du hall, elle accueillait les visiteurs dans le Palais de la Sécession construit cinq ans auparavant. La Frise aurait bien pu faire partie des chefs-d’œuvre perdus de Klimt dans l’incendie du château d’Immendorf en 1945, si elle n’avait été séparée du reste de la collection lors de sa spoliation par les nazis en 1938. Restituée à son propriétaire, Erich Lederer, après la guerre, l’État autrichien lui rachète en 1972 avant de l’exposer au Palais de la Sécession quatorze ans plus tard. Mais, en 2013, les héritiers Lederer saisissent la Commission des biens spoliés en Autriche pour dénoncer les conditions de vente et obtenir une nouvelle restitution. Appel rejeté en 2015 par ladite Commission : la Frise Beethoven a donc retrouvé définitivement place en son berceau.
Où la voir ?
Appartenant aux collections nationales, la Frise Beethoven est donc exposée, comme en 1902, au Palais de la Sécession dont elle est la principale attraction. La capitale autrichienne regorge de musées où Klimt et la Sécession sont à l’honneur, que ce soit au MuseumsQuartier (qui rassemble notamment le musée Leopold, le MuMok et la Kunsthalle) ou au Palais du Belvédère.
Frise Beethoven
Gustav Klimt
1901-1902
Peintures à la caséine, revêtements en stuc, crayon, applications en divers matériaux (verre, nacre, etc.) et placage à l’or sur mortier
215 x 3414 cm
Palais de la Sécession, Vienne
« Les Nymphéas » de Monet à l’Orangerie : une bulle de poésie impressionniste
Claude Monet, Nymphéas (De gauche à droite : « Les Nuages », « Reflets verts » et « Matin »), 1914-1918
Dès l’entrée, le temps suspend son vol. Réduits à quelques touches de blanc et de rose, des nénuphars flottent sur une surface aquatique à la limite de l’abstraction. L’eau bleutée nous enveloppe, reflétant tour à tour le ciel pâle, les nuages et les lueurs du couchant. Inspiré par l’art japonais, le cycle des Nymphéas, bouquet final de la carrière de Claude Monet (1840–1926), incarne les principes de l’impressionnisme dont le peintre reste la plus célèbre figure : saisir les émotions éphémères ressenties au fil des variations de lumière et d’atmosphère qui enchantent le réel à l’infini…
Ce qu’il faut savoir
Cette installation immersive composée de huit panneaux concaves de 6 à 17 mètres de long (soit 200m² de surface peinte !) accrochés en cercle a été conçue par l’artiste pour plonger le visiteur dans une « méditation paisible » et « l’illusion d’un tout sans fin ». C’est Georges Clemenceau qui a encouragé son ami Monet, qu’il surnommait « l’ange bleu », à réaliser ce chef-d’œuvre centré sur son motif favori – les fameux nymphéas posés sur leur étang bordé de saules et sous un pont japonais dans son jardin de Giverny – qu’il déclinait en série depuis 1902.
Où les voir
À Paris, dans l’Orangerie du jardin des Tuileries, sur les murs blancs de deux salles ovales conçues spécialement pour eux dans les années 20. En 1922, après 8 ans d’âpres négociations avec l’État menées par Clemenceau, l’artiste s’était engagé à offrir l’ensemble (débuté en 1914) à la France pour fêter la paix retrouvée. Mais, devenu presque aveugle, il en avait repoussé le rendu et le tout ne fut finalement installé qu’en 1927, six mois après sa mort, dans le tout nouveau musée de l’Orangerie dédié à l’impressionnisme. Un féerique cadeau d’adieu !
Les Nymphéas
Claude Monet
1914–1918
Huiles sur toiles
« La Joconde » de Léonard de Vinci, tout le génie de la Renaissance dans un sourire
Léonard de Vinci, Portrait de Lisa Gherardini dit La Joconde, 1503-1519
C’est le tableau le plus célèbre au monde : chaque jour, environ 20 000 visiteurs venus des quatre coins de la planète se bousculent pour l’admirer ! Si elle peut lasser ou agacer, sa notoriété n’est pas fortuite. Qui est cette femme ? Pourquoi nous suit-elle du regard avec ce sourire mystérieux ? Remarquable par son illusion de relief et la douceur mystique dans laquelle baigne le visage du modèle, La Joconde incarne à elle seule tout le secret qui entoure la vie et l’œuvre de l’artiste italien Léonard de Vinci (1452–1519), génie de la Renaissance féru de messages cryptés.
Ce qu’il faut savoir
Pour le paysage de l’arrière-plan nimbé d’une brume fantastique, le peintre a utilisé sa fameuse technique du sfumato, estompant les contours avec une vingtaine de couches de glacis transparent. Entamé vers 1503, ce portrait figurait dans ses bagages lors de son arrivée en France, où il l’aurait fignolé jusqu’à sa mort. L’identité du modèle est longtemps restée un mystère. Si certains pensent encore à un portrait déguisé de Salai, son assistant androgyne et probable amant, des découvertes récentes désignent Lisa del Giocondo (1479–1542), épouse d’un marchand d’étoffes florentin. L’œuvre doit aussi sa grande notoriété au vol dont elle a été l’objet par l’Italien Vincenzo Peruggia de 1911 à 1913.
Où la voir ?
Au Louvre, musée le plus visité au monde avec 10 millions d’entrées par an (dont près de la moitié motivées uniquement par ce tableau !), Monna Lisa ne peut être approchée qu’en faisant la queue entre des cordons de sécurité dignes d’un parc d’attractions. De quoi faire injustement oublier au public les autres chefs-d’œuvre italiens de la salle des États où elle trône depuis 2005, à commencer par les Noces de Cana de Véronèse (1562), la plus grande toile du musée (6,77 × 9,9 m) située juste en face d’elle !
Portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dite Monna Lisa, la Gioconda ou la Joconde
Léonard de Vinci
1503-1519
Huile sur bois de peuplier
77 x 53 cm
Le plafond de l’Opéra de Paris de Chagall : un éclatant concert de couleurs
Marc Chagall, Le Plafond de l’Opéra de Paris, 1964
Toute première fois au Palais Garnier comporte son apothéose : après la spectaculaire montée des marches, le nez levé sur les ors et les affriolantes sculptures, après l’entrée dans la salle immense et rouge, il y a l’étourdissement du plafond. Quel choc, quelle audace ! Les masses colorées jaunes, vertes, bleues et rouges sonnent avec éclat au milieu de l’architecture éclectique de Charles Garnier. Puis les détails nous attrapent : une tour Eiffel, des anges, des musiciens, des danseuses, un arc de triomphe… Marc Chagall (1887–1985) illustre ici quatorze opéras et ballets majeurs, du Carmen de Bizet au Lac des Cygnes de Tchaïkovski, mêlant leurs personnages à son imaginaire reconnaissable entre mille.
Ce qu’il faut savoir
Le commanditaire de ce grand projet est d’abord, selon la légende, un homme qui s’ennuie à l’opéra : André Malraux. Jetant un œil distrait au plafond, il s’aperçoit que celui-ci, signé Jules Lenepveu, est très académique et ne rajeunit en rien cette institution un peu poussiéreuse. Le ministre, oubliant définitivement la représentation de Daphnis et Chloé, s’enthousiasme. Ses idées fusent, et dès l’entracte il demande à son ami de longue date Marc Chagall de réaliser un nouveau plafond. Nous sommes en 1960, quatre ans avant l’inauguration officielle… Comme on l’imagine, la commande fait scandale. Malraux ne cède pas aux critiques, si ce n’est que Chagall peindra son plafond sur une toile amovible, dans les ateliers des Gobelins puis à Meudon, sous protection militaire. 220 mètres carrés de peinture plus tard, le plafond a réussi son coup : l’Opéra a comme un air de jeunesse !
Où la voir ?
Inauguré en 1875, le Palais Garnier accueille depuis une exceptionnelle programmation d’opéras et de ballets. Son architecte, Charles Garnier, a remporté le concours alors qu’il n’était qu’un jeune homme qui n’avait rien construit ou presque ! Bon à savoir : l’Opéra se visite, de façon autonome ou avec un guide, et pour un tarif bien plus abordable qu’une place de spectacle.
Plafond de l’Opéra de Paris
Marc Chagall
1964
220 mètres carrés
« La Closerie Falbala » de Jean Dubuffet : comme sur un nuage
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Jean Dubuffet, Closerie Falbala, 1971-1973
Jean Dubuffet, Antichambre de la Villa Falbala (porte ouverte sur le Cabinet logologique), 1974–1976
Ce dédale de formes blanches, décorées de sinueuses lignes noires, semble l’œuvre d’un magicien fou ! Toute en époxy et béton projeté recouvert de peinture polyuréthane (y compris le sol et les murs tortueux qui entourent le bâtiment central), cette fantasmagorie architecturale s’étend sur 1610 m². En son cœur s’élève la Villa Falbala, étrange édifice en résine de 8 mètres de haut abritant une étonnante grotte de méditation ornée de dessins abstraits rouges, bleus et noirs : le Cabinet logologique. Une géniale réinterprétation de l’art préhistorique pariétal par un artiste du XXe siècle !
Ce qu’il faut savoir
C’est à l’aube de ses 70 ans que Jean Dubuffet (1901–1985) a entrepris de construire ce lieu à ses propres frais. Réalisé entre 1971 et 1973, modifié jusqu’en 1976 et classé Monument historique en 1998, ce paysage hallucinatoire constitue l’apogée du cycle de L’Hourloupe (1962–1974), qui réunit les œuvres les plus spectaculaires du théoricien de l’art brut. Sillonnées de lignes tracées de manière spontanée, ces dernières visent à démontrer le « caractère illusoire du réel ». Tout est mouvant et sujet à interprétation, nous dit l’artiste qui nous invite à lire dans ces entrelacs « toutes sortes d’objets qui se font et se défont à mesure que le regard se transporte ». Comme lorsqu’on observe les nuages…
Où la voir ?
À Périgny, commune du Val-de-Marne à environ 30 kilomètres au sud-est de Paris, au milieu d’un terrain entouré d’arbres (acheté par l’artiste) qui lui donne un air de construction mystique à la Stonehenge… Et non loin de l’Yerres, rivière qui traverse la propriété du peintre Gustave Caillebotte, située à seulement 15 minutes en voiture. Deux lieux, deux ambiances !
La Closerie Falbala
Jean Dubuffet
1971-1973
Périgny, Val-de-Marne
Visite virtuelle : http://www.dubuffetfondation.com/closeriefalbala.php?lang=fr